L’arrivée des Royaux (1)

La première saga du baseball professionnel à Montréal

 

Le journal La Patrie annonce l’arrivée d’un club de la Ligue Eastern à Montréal.

Première partie

La saga entourant le départ des Expos au début des années 2000 avait un air de déjà vu. En effet et aussi étonnant que cela puisse paraître, les Montréalais avaient vécu une expérience similaire un peu plus d’un siècle auparavant. À ce moment, les amateurs de baseball ne fustigeaient pas les tractations en coulisses à propos du départ de leur club mais les querelles entre actionnaires à propos de l’arrivée des Royaux!

Bien que le baseball n’en était pas à ses premiers balbutiements à Montréal à la fin du 19e siècle, les habitants de la métropole n’avaient jamais vraiment goûtés au baseball professionnel organisé. Deux équipes de la Ligue Eastern, l’ancêtre de la Ligue Internationale, s’étaient bien amenées à Montréal durant l’été 1890 et des clubs de semi-professionnels avaient vu le jour au cours des années suivantes mais ces expériences avaient été de courte durée. Les Montréalais ne semblaient pas être prêts pour du baseball professionnel. Mais tout changea en 1897.

Il faut cependant remonter à 1895 pour voir les premiers germes de ce changement voir le jour. Cette année là fut fondé le club de baseball de l’Association d’Athlétique le National, la grande organisation sportive francophone qui allait un jour devenir la Palestre nationale. Le club adhéra immédiatement à une nouvelle Ligue qui venait de voir le jour, la Ligue internationale de l’est. Avec en son sein des équipes à Plattsburgh dans l’état de New York et St. Albans au Vermont, c’était le premier circuit nord-américain dans lequel un club de baseball québécois évoluait. Le calibre de la ligue était assez bon car les joueurs provenaient des universités environnantes ou avaient déjà évolués pour des équipes du baseball mineur un peu partout aux États-Unis. D’ailleurs, plusieurs d’entre-eux allaient connaître de belles carrières dans le Baseball majeur par la suite dont Cy Seymour, le lanceur du club de Plattsburgh. Les deux équipes américaines étaient donc ouvertement professionnelles mais le National, lui, refusait de payer ses joueurs et conservait donc son caractère d’amateur si cher aux yeux de ses membres. En conséquence, le club termina dernier lors de la saison 1895 mais sans toutefois être déclassé.

Le National et Louis Belcourt attiraient les foules en 1895.

Les performances du National et de son jeune lanceur Louis Belcourt (considéré comme le meilleur joueur de baseball québécois d’alors) ont créé un engouement sans précédent pour le baseball à Montréal. Durant cet été, de nombreux jeunes clubs virent le jour, certains aussi loin que St-Jérôme! Jusque là le baseball était une affaire anglophone. Peu de francophones pratiquaient ce sport même si tous les étudiants des collèges classiques en connaissaient les rudiments depuis fort longtemps. C’est d’ailleurs au collège Ste-Marie que Louis Belcourt avait perfectionné ses talents de joueur de baseball. L’arrivée du National sur la scène du baseball montréalais avait tout bouleversé. Les francophones ont goûté massivement au baseball pour la première fois et allaient en demander plus!

La formation du club de baseball du National avait été l’initiative de deux amateurs de baseball et hommes d’affaires du centre-ville de Montréal, Henri Dubois et Théotime Lanctôt. Les deux hommes possédaient des restaurants où des télégraphes imprimeurs donnaient les résultats des grands événements athlétiques nord-américains. Les deux établissements étaient le lieu de rassemblement de nombreux sportifs de la métropole. Dubois et Lanctôt étaient donc concurrents dans la vie, une situation qui se transportait aisément au conseil de gestion du club de baseball du National où les deux hommes siégeaient.

Lanctôt eu l’idée au printemps de 1896 de former un club de baseball totalement professionnel dans le but de rivaliser avec les clubs américains de la Ligue Internationale de l’est. Il se dissocia donc du National et forma au mois de mars le Club de Base-Ball Professionnel de Montréal. Il réussit à manigancer pour faire exclure le National de la ligue pour ainsi se réserver le territoire montréalais à lui-seul. Dans ce but, il fit adopter par le conseil de la ligue un règlement visant à interdire à une ville membre de posséder plus d’un club. Le National vit ce geste comme une déclaration de guerre et ses dirigeants ont passé le reste de l’été 1896 à empoisonner l’existence du club professionnel de Lanctôt. Déclarations dans les journaux, mauvaise publicité, tous les coups étaient permis pour nuire au succès des professionnels si bien qu’au début août Lanctôt dû cesser l’opération de son club qui était en proie à de graves difficultés financières. Il était alors quatrième au classement général de la ligue. Le National reprenait l’exclusivité du territoire montréalais de la balle. Mais pas pour longtemps.

Le restaurateur Théôtime Lanctôt, architecte du premier club de baseball professionnel montréalais contrôlé par des intérêts francophones.

Joe Page, un Américain d’origine britannique qui était arrivé à Montréal en 1888 pour tirer partie de la popularité croissante du baseball dans la ville avait un projet en tête. Bien que joueur de deuxième-but du National en 1895, il s’aligna avec Lanctôt et la Ligue internationale de l’est en 1896 en devenant pilote du nouveau club de Farnham. Toujours au bon endroit au bon moment et doté d’un sens du baseball inné, Page savait que le moment était venu pour Montréal d’obtenir une concession dans le baseball mineur. En conséquence, il fit des démarches pour mettre sur pied un groupe de capitalistes capable d’avancer les fonds pour établir le baseball mineur à Montréal. Agent facilitateur, Page n’amenait aucun argent dans le projet. Il se contentait de trouver et de mettre en commun le capital nécessaire, ce qui était déjà pas mal. Les investisseurs qu’il avait regroupés provenaient de Montréal mais également des États-Unis, dont un, W. H. Rowe, qui prit la tête du syndicat.

 

La concession de Wilkes-Barre dans la Ligue Eastern était en proie à des difficultés financière et celle de Rochester semblait être dans la même situation. Rowe entreprit donc des négociations avec les deux clubs dans le but d’en acquérir un pour le déménager à Montréal. La chance sourit aux consortium montréalais quand un incendie détruisit le parc de baseball de l’équipe de Rochester le 16 juillet 1897. Sans domicile, le club fut immédiatement vendu au groupe de Rowe mais l’affaire était déjà dans le sac bien avant le sinistre. À preuve, on annonçait la vente du club la même journée que l’incendie et la ligue entérinait la transaction moins de deux jours plus tard. L’entente disait que les Montréalais devenaient propriétaires majoritaires de l’équipe alors que les trois propriétaires de Rochester, Leingruber, Englert et Buckley, conservaient une participation minoritaire. En outre, les Montréalais devaient défrayer les dépenses de voyage supplémentaires encourues par les autres clubs de la Ligue, Montréal étant substantiellement plus loin que Rochester. Et donc, Montréal hérita d’un club des ligues mineures américaines, une première pour la métropole. Sans nom, la nouvelle concession allait être affublée de nombreux sobriquets par les journalistes et les amateurs de baseball. Celui de Royaux lui demeura.

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