Petite mais mémorable (1)

La Ligue internationale de l’est

La ligue internationale de l’est a été fondée en 1895 au St-Lawrence Hall de Montréal.

 

Première partie

Bien malin celui qui aurait saisi l’importance de cette petite réunion tenue au St-Lawrence Hall de Montréal au printemps de 1895. Les participants eux-mêmes ne se réunissaient-ils pas pour ne fonder qu’une toute nouvelle petite ligue de baseball? Et pourtant, ce geste qui leur a tant semblé anodin fera vite époque dans l’histoire sportive du Québec. C’est que la ligue, l’Internationale de l’est, allait devenir la toute première ligue de calibre mineur dans laquelle des clubs de la province évoluaient, un événement qui marque l’entrée des Canadiens français au sein du baseball organisé américain.

Il y avait depuis longtemps que les clubs de baseball du Québec et ceux des états américains limitrophes de New York et du Vermont organisaient des parties ensemble. Personne n’avait cependant eu l’idée de former une ligue. Vient 1895 alors que l’Association athlétique d’amateurs nationale fonde un club de baseball. Le 27 mars 1895, le comité de direction de l’Association délègue un de ses dirigeants ainsi que le joueur de baseball Louis Belcourt à une rencontre qui allait se tenir trois jours plus tard. On allait y parler de la fondation d’une ligue.

De réunion en réunion, le projet avance. Des clubs de Farnham et d’Ottawa signifient leur intérêt d’adhérer à la ligue. L’équipe des Shamrocks, l’organisation sportive irlandaise de Montréal, semble être elle aussi intéressée. Aux États-Unis, les villes vermontoises de Swanton et de Saint Albans envoient des délégués aux réunions tout comme celle de Rouses Point dans l’état de New York. Le National désire bien entendu adhérer à la ligue, voyant en elle un véhicule promotionnel sans pareil pour son nouveau club. La ville newyorkaise de Plattsburgh crée en toute hâte un nouveau club de baseball et envoie un délégué à la toute fin du processus. Heureusement d’ailleurs puisque le 9 mai 1895, la Ligue internationale de l’est voit le jour au St-Lawrence Hall de Montréal. La ligue comprend quatre équipes : le National, Saint Albans, Rouses Point et… Plattsburgh qui coiffe Ottawa et Farnham pour l’obtention d’une concession!

Le 10 mai un calendrier est dévoilé dans les journaux. Les équipes de la Ligue allaient jouer 12 parties au total, quatre contre chacun des autres clubs. La saison allait se mettre en branle à Montréal le 25 mai, fin de semaine de la fête de la Reine. Mais coup de théâtre quelques jours avant la partie inaugurale. Lors d’une réunion des délégués, le club de Rouses Point quitte la ligue, considérant la proposition que chaque club paie toutes les dépenses justifiées des clubs visiteurs trop onéreuse. Le calendrier allait demeurer le même, les parties du club de Rouses Point sont tout simplement retirées laissant chaque club avec un total de huit parties à jouer, quatre contre chaque autre adversaire.

C’est en grande pompe à Montréal le 24 mai que la Ligue internationale de l’est (ou Eastern International League comme on l’appelait en Anglais) débute sa saison 1895. Le National reçoit le club de Saint Albans sur son terrain situé au coin des rues Ste-Catherine ouest et Atwater (là où se dresse aujourd’hui la place Alexis Nihon). On organise pour l’occasion un événement majeur. Le club de crosse du National allait également jouer ce jour là contre le féroce club de Cornwall. De nombreux dignitaires sont présents pour ce programme double dont Wilfrid Laurier, chef de l’opposition officielle à Ottawa et futur premier ministre du Canada. C’est d’ailleurs lui qui donne le coup d’envoi des festivités devant plus de 2,000 spectateurs. Le National, quant à lui, subit la défaite, mais de manière honorable puisque le club a mené 4 à 3 jusqu’en huitième manche. Le club de Saint Albans a alors effectué une remontée, marquant 11 points dans les deux dernières manches pour vaincre les favoris de la foule 14 à 5.

Le National remporte sa première victoire six jours plus tard, par le pointage de 11 à 7 à Plattsburgh. Le club réussit à tirer son épingle du jeu au commencement, mais deux défaites consécutives aux mains du Plattsburgh au début d’août le relèguent en troisième position. Le 17 août, le National montre sa détermination et enchante ses partisans en remportant une victoire à domicile de 3 à 2 en 12 manches sur Saint Albans. Louis Belcourt est irréprochable, retirant au bâton 13 frappeurs du Saint Albans. Le lendemain, le quotidien La Presse fait l’éloge de l’équipe locale et de « la plus belle victoire qui ne s’est jamais vue au Canada ». Cette victoire permets au National de se rapprocher à une demi partie du Saint Albans et du deuxième rang, mais sa dernière joute de la saison le 7 septembre sera un vrai désastre. Dans une dégelée de 19 à 0, le National ne frappe que cinq maigres coups sûrs, quatre d’en d’eux provenant du bâton du deuxième but de l’équipe Jos. Page. Le club commet également pas moins de 12 erreurs et ses joueurs se font retirer 19 fois au bâton. La défaite lui concède le troisième rang avec une fiche de trois victoires et cinq défaites. Plattsburgh, fier d’une série de quatre victoires consécutives en juillet et août, termine au premier rang avec cinq gains et trois revers. Saint Albans connait une saison en dents de scie et  joue pour .500 avec un dossier de 4-4.

Le club de baseball du National.

Compte tenu des circonstances, la saison du National est somme toute satisfaisante. Le club en était à sa toute première saison et la plupart de ses joueurs étaient d’anciens étudiants des collèges classiques de la région montréalaise ou des joueurs ayant fait leurs preuves au sein des différentes équipes amateurs locales. Ils étaient âgés dans la jeune vingtaine bien que certains, comme le lanceur Louis Belcourt, étaient plus jeunes. Autre caractéristique du groupe: ils étaient tous amateurs selon la volonté des dirigeants du National qui étaient farouchement opposés au professionnalisme. Tout cela faisait contraste avec les autres équipes de la ligue qui étaient composées de joueurs professionnels. Bien que la plupart des joueurs de St. Albans et Plattsburgh provenaient des universités du nord-est des États-Unis, certains d’entre eux allaient plus tard jouer dans les ligues mineures comme Charles Prowse et Miles Standish du Saint Albans ou Charles Fitch du Plattsburgh. Harry Catto, un membre de l’équipe itinérante noire des Cuban Giants a déserté son équipe de passage dans la région pour s’aligner avec Plattsburgh pour toute la saison. Ces joueurs étaient avant tout payés pour leurs services. Ainsi, le club de Plattsburgh embaucha avant le début de la saison un lanceur originaire d’Albany dans l’état de New York, Cy Seymour et lui donna 115 dollars par mois pour ses services. St- Albans avait dans ses rangs, Ed Doheny, un jeune phénomène du Vermont. Tous deux se retrouveront l’année suivante avec les Giants de New York dans la Ligue nationale. Arlington Pond a lancé la première partie du Saint Albans à Montréal le 24 mai avant de signer avec les Orioles de Baltimore pour qui il lancera durant quatre saisons. Le 13 août, le rédacteur sportif de La Presse rappelait à ses lecteurs que les équipes américaines avaient des avantages marqués sur le National ajoutant tout de même que, « quel que soit le résultat, ces jeunes athlètes ont fait preuve d’une habileté extraordinaire, et qui a grandement étonné ceux qui ont eu à se mesurer avec eux ».

Cy Seymour évoluait pour Plattsburgh en 1895 et se trouva un poste au sein des Giants de New York dans la Ligue nationale la saison suivante.

 

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